À propos
Portrait Cécile

Partir à la rencontre de sa famille

À l’aube de ma maternité, comme beaucoup de parents, je vis une révolution intérieure. Mon rapport à la famille se transforme, à bas bruit. L’éloignement géographique de mes proches me fait ressentir la fragilité de mes racines. Mes questionnements au sujet de l’histoire familiale se multiplient et je découvre des zones d’ombre dont je distingue la noirceur. Certes, je sais que mon père et ses parents étaient des réfugiés politiques hongrois, mais à part ça, pas grand-chose d’autre. Et surtout, je ne peux interroger personne, mes aïeux ayant quitté ce monde avant ma majorité.

Je ne me résigne pas pour autant. Je commence par interroger ma mère qui s’avère bien ignorante sur ce parcours migratoire. L’absence de réponse attise ma curiosité me poussant à la bibliothèque pour y engloutir les ouvrages relatant l’histoire de la révolution de 1956 à Budapest. Ces lectures me révèlent une partie des raisons de leur exil, mais avant tout, mes questionnements me font prendre conscience du défi qu’ils ont relevé. En effet, ils ont quitté leur terre natale à plus de cinquante ans pour rejoindre un pays dont ils ne parlaient pas un traitre mot, en laissant derrière eux tous leurs liens et leurs biens.

Néanmoins, mes investigations ne s’arrêtent pas là. Je veux savoir comment ils ont vécu en Hongrie. Mes questions s’enchaînent et j’en viens à m’interroger plus particulièrement sur leurs conditions de vie pendant la Seconde Guerre mondiale. Comment ont-ils survécu alors que 500 000 de leurs compatriotes ont été déportés à partir de mars 1944 ? 

Au fil de mes navigations sur le net, je me hasarde sur le site de Yad Vashem. J’effectue une requête et là, les bras m’en tombent. Je découvre que mon grand-père est un rescapé de la Shoah. Ce que j’avais appris à l’école française, ce pan atroce de l’Histoire qui me semblait lointain, mes grands-parents l’avaient enduré. Je ressens une profonde tendresse à l’égard de ces survivants dont j’admire la résilience. 

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Yad Vashem

L’enfant que j’étais n’avait aucune conscience de cette histoire traumatique même si elle planait au-dessus de nos têtes. Mes recherches ont dissipé certaines zones d’ombre de ce passé et m’ont fait comprendre qui étaient vraiment mes grands-parents. Je ne vois plus seulement en eux deux personnes âgées aimantes parlant un français approximatif avec un accent prononcé. Désormais je vois une femme et un homme qui ont surmonté deux guerres, un génocide, une révolution et un exil. 

Le vide laissé par mon ignorance antérieure est partiellement comblé. Je ressens comme un soulagement d’avoir assemblé le puzzle de cette histoire pièce après pièce. Le tableau reste incomplet, mais j’en perçois dorénavant les grandes lignes. Je veille aussi à transmettre ce récit à mes enfants. 

Ma nouvelle mission : révélatrice d’identité

Cette enquête familiale m’a passionnée et m’a fait grandir. Elle a mis en lumière le fait qu’on pense connaître nos proches jusqu’à ce qu’une prospection d’archives variées nous révèle des pans de leur vie inexplorés. 

Cette révélation identitaire, j’ai su que d’autres, comme moi, pourraient la vivre. C’est là que germe l’envie d’être biographe. Je ne m’autorise pas immédiatement ce saut professionnel. Je passerai d’abord par la case « recherche en sciences sociales ».

Appelez-moi Sherlock Holmes !

Rien n’est plus réjouissant pour moi que je partir à la découverte de l’autre. C’est pourquoi j’entame, en 2001, un parcours doctoral en science politique. Devinez le cœur de mon sujet ? L’immigration ! Tel un reporter au long cours, je vais à la rencontre de nombreux sans-papiers en France et en Espagne. Au cours de ces entretiens, je découvre leur vie, leurs contraintes, leurs joies. J’explore le contexte historique, sociopolitique, économique de leur exil. Je reconstitue leur trajectoire de vie pour mieux comprendre leurs choix, dans des circonstances particulières et éclectiques. Cependant, ma mission universitaire utilise leur récit à des fins scientifiques. Je ressens une frustration à ne pas rendre cette histoire à leur propriétaire. Alors, quand j’apprends que l’amie d’enfance de ma mère est biographe, je pars à sa rencontre. Et là, pendant de longues heures, elle me fait découvrir cette profession que j’embrasserai quelques mois plus tard. 

Enquêter comme Sherlock Holmes

Sortir du cocon académique

J’ai de fortes convictions quant à la richesse intrinsèque de l’Humain et aux vertus thérapeutiques de l’écriture de soi. Ma passion est vivace, mais mes peurs le sont tout autant. Pour surmonter mes croyances limitantes, je commence par travailler mon écriture.  

La chenille, enfermée dans son cocon académique, doit se libérer du carcan de l’argumentation et de la justification. Le papillon « créativité » prend son envol et s’exprime enfin. Mon écriture entre ainsi dans le monde des émotions. Jusqu’alors je m’astreignais à citer les propos exacts de mes enquêtés. Désormais, ma nouvelle posture m’autorise à produire un texte narratif où faits et sentiments se complètent harmonieusement.

Iscriptura - Formation au métier de biographe

J’entame alors un long et passionnant parcours de formation. Je participe à des ateliers d’écriture en visioconférence et en présentiel. J’adore me rendre aux cafés littéraires de ma ville. Dorénavant, je lis avec un carnet à la main, pour noter le vocabulaire et les expressions qui me touchent. Je nourris ma matière grise pour la mettre au profit des histoires qu’on me confie. Enfin, la pierre d’achoppement de cette transformation est ma formation de biographe auprès de l’organisme Iscriptura. Je m’inscris et suis avec bonheur les enseignements d’Isabelle Sarcey. Outre les nombreux conseils techniques prodigués, cette formation me conforte dans mes choix et mes compétences. 

Écrire pour tous

Au-delà de l’angoisse personnelle liée à l’écriture, je fais face à l’idée préconçue que le livre et la biographie sont l’attribut des riches, des intellectuels, des instruits. Or moi, j’aspire à raconter le destin de gens qui, comme moi, ont envie ou besoin de comprendre leur histoire et de l’immortaliser. Nombreux sont celles et ceux qui pensent à tort : « ce n’est pas pour moi ! Que pourrais-je donc bien raconter ? Ma vie ne vaut pas la peine d’être écrite… ». Or, j’ai la conviction que c’est tout le contraire. Tout le monde mérite d’explorer, de raconter et d’écrire son histoire, pour la transmettre. 

Pour rendre cette démarche biographique accessible, je diversifie les supports et les méthodes de recueil de récits de vie. J’anime des ateliers collage pour que les participants et participantes se racontent en images. J’utilise la méthode de l’entretien narratif également. Dans tous les cas, je nourris mes textes d’éléments historiques ou sociologiques, qui complètent le récit de mes narrateurs et de mes narratrices. 

Portrait Cécile